TROIS ORGUES : TROIS CAS D’ÉCOLE
Yves KOENIG – Facteur et restaurateur d’orgues
La restauration des orgues est particulière car nous intervenons toujours sur des instruments en fonction et ils doivent continuer à être utilisés dans les églises, pour les siècles ou au moins les décennies à venir. L’exposé présente les aspects des plus visibles vers les moins visibles, c’est-à-dire du buffet jusqu’à la mécanique interne de l’instrument. Cette démarche permet de bien montrer toutes les problématiques liées à la restauration des orgues, ainsi que la multiplicité des matériaux rencontrés. Chaque orgue est néanmoins un cas particulier, et chaque restauration nécessite une approche personnalisée.
ALBESTROFF, Eglise St Adelphe : un buffet “inversé” (Orgue construit en 1844 par Joseph Géant puis profondément transformé en 1895 par Franz Staudt)
La principale surprise est venue de la disposition du buffet d’orgue. Franz Staudt avait inversé la façade du deuxième étage avec celle du premier étage. La découverte en cours de restauration de cette anomalie a nécessité un changement des plans sonores et du mécanisme reliant les claviers aux sommiers. Cela a permis de retrouver la disposition d’origine, et une forme de buffet d’orgue originale. Cette disposition et cette forme de buffet ont été confirmées sur d’autres instruments du même auteur, qui avaient eux aussi subi une transformation identique.
LORRIS, Église Notre-Dame : un puzzle sonore (Orgue construit en 1501 puis agrandi en 1680. L’instrument n’a été que très peu modifié depuis cette date)
Après la Deuxième Guerre mondiale, il ne restait que le buffet mutilé et les tuyaux de façade. La tuyauterie a été retrouvée par un prêtre dans les combles sous cinquante centimètres de terre et de gravats. Le buffet d’orgue avait perdu la majeure partie de son décor sculpté. La restauration du buffet, encadrée par l’architecte en chef a été réalisée par un sculpteur de la région. Pour nous, le départ de cette restauration était un amas de quelque cinq cents tuyaux aplatis, déchiquetés, troués. La première opération fut de relever tous les paramètres encore mesurables sur les tuyaux. Le deuxième travail consista à les redresser, souder les déchirures, compléter les manques avec les alliages d’origine. Ensuite, il fallut leur redonner leurs paramètres sonores, suivant les relevés établis au départ.Le travail le plus difficile fut de retrouver leur place sur le sommier de l’orgue. La grande inconnue était la sonorité de cet orgue d’un autre âge. C’est avec une grande émotion que nous avons entendu les premiers sons de cet instrument du XVIe siècle.
VÉZELISE, Église St Come et St Damien : un puzzle mécanique
L’orgue a été construit en 1775. Il a subi plusieurs transformations qui avaient dénaturé l’instrument. Le mécanisme avait été transformé et rendu plus complexe ce qui ne permettait pratiquement plus d’accéder aux parties internes de l’orgue. Il restait néanmoins un ensemble important d’éléments de l’orgue d’origine. Il n’était pas possible de conserver le dernier état connu qui manquait de cohérence. L’option prise par l’architecte des M.H. a été un retour à l’orgue d’origine. Le buffet était intact dans sa structure et le meuble n’avait souffert que d’un transport sur des charrettes au moment de la Révolution. La tuyauterie était conservée à quatre-vingt-dix pour cent. La principale difficulté a été de recréer tout le mécanisme ancien, à partir de quelques éléments, quelques traces d’outils et des empreintes carrées correspondant aux clous forgés. À partir de ce faisceau de preuves, il fallait imaginer la place des supports de mécanique pour retrouver la mécanique d’origine.Il fallait travailler sans idée préconçue, accepter de se laisser surprendre par les conceptions de l’auteur de l’œuvre. Lorsque le résultat final apparait comme une évidence à tous les spécialistes, on peut penser que l’on est très proche de la vérité.