« A canne rompue… » : réflexions et traitement du cannage d’un canapé appartenant aux collection ethnographiques du Musée du Quai Branly.
Léa Wegwitz – Frame conservator, Rijksmuseum, Amsterdam
Résumé
En 2011, le Musée d’Art Ethnographique du Quai Branly (Paris) a fait appel à deux restaurateurs de mobilier pour la conservation-restauration d’un canapé canné, de style colonial, appartenant à ses collections. Le cannage de l’assise et du dossier présentaient des lacunes de grandes tailles ainsi que de fortes déformations. Sont décrits ici les procédés mis au point pour redresser, retendre le cannage et combler des lacunes, afin de permettre le transport du canapé et sa présentation au public dans des conditions satisfaisantes.
L’appartenance de cet élément mobilier à un établissement d’art ethnographique, ainsi que sa restauration dans les locaux du musée ont facilité les échanges entre conservateurs-restaurateurs, spécialistes ou non des problématiques du mobilier.
Les restaurateurs d’objets ethnographiques et les restaurateurs de mobilier sont en effet souvent confrontés aux mêmes matériaux : bois, écaille, crin, cuir, polychromie, textile… Pourtant, en raison sans doute de leurs formations et du statut des œuvres, les problèmes posés et les approches restent sensiblement différents.
A l’occasion de la restauration du cannage d’un canapé appartenant aux collection ethnographiques du Musée du Quai Branly, c’est au hasard de d’ échanges avec des restaurateurs d’objets ethnographiques que fut mentionné le papier japonais en rouleau pré-encollé. Le papier japonais gommé est un matériau couramment employé pour le montage de documents graphiques, régulièrement détourné de sa fonction par les restaurateurs d’art ethnographique du Musée du Quai Branly qui s’en servent pour obtenir des textures proche du cuir ou des fibres végétales.
Pour nous, restaurateurs de mobilier en quête de possibilités d’optimisation d’un protocole de restauration qui avait par le passé montré quelques faiblesses, le papier japonais présentait les avantages de bien résister à la traction en bandes fines et de se teindre à cœur avec des médiums à l’eau. Il permet en outre d’obtenir rapidement, par superposition, des épaisseurs similaires à celles de la canne et ne présente pas l’effet gaufré du Tyvek, jusqu’ici le plus souvent utilisé dans les traitements modernes.
Si l’intervention réalisée s’inspire largement des recherches menées ces dix dernières années dans le domaine du mobilier canné aux Etats Unis et en Allemagne, elle s’est enrichie du regard extérieur et du partage de l’expérience pratique de nos collègues restaurateurs d’objets ethnographique. Cet échange a produit des solutions inédites pour la restauration du cannage : la remise en tension du cannage existant sur des fils de nylon et le traitement des lacunes avec des bandes de papier japonais gommé.
Les propriétés de résistance mécaniques et de mise en teinte des matériaux de cette restauration s’adaptent de manière très avantageuse à la restauration de la canne naturelle. Les réintégrations réalisées apportent un bon soutient structurel au cannage fragilisé et permettent une remise en tension contrôlable et proche de l’original. Le papier teinté à cœur supprime les difficultés liées à la persistance de joints de découpe plus clairs ainsi qu’à l’aspect gaufré induit par le Tyvek. Ces améliorations techniques et esthétiques ouvrent des perspectives très encourageantes pour la conservation et la présentation au public d’un patrimoine sensible.
L’état de dégradation avancé du cannage de l’objet fournit ici une occasion de réflexion sur les techniques traditionnelles et la conservation-restauration des objets cannés, leurs limites et les possibilités d’approfondissement. Il fournit également l’occasion d’une réflexion sur les frontières du domaine du mobilier dans les collections patrimoniales ainsi que sur ses spécificités.